Pourquoi « Le Petit Duc » fut un succès ?

Pourquoi « Le Petit Duc » fut un succès ?

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Parce que cette série (scénarisée et mise en images par Devi) était LA bande dessinée d’aventures par excellence.

En effet, elle a subjugué nombre de ses lecteurs à l’époque (et toujours maintenant semble-t-il) parce

qu’elle projetait son héros dans l’action brute : action prenante, échevelée, aux rebondissements multiples, aux situations incongrues et mystérieuses ; action, en outre, aux décors baroques, fascinants, constamment empreints de dangers, d’inquiétude, d’angoisse, tenant en permanence le lectorat en haleine, le crispant sur la suite de l’histoire, sur sa continuité, sur la poursuite de l’aventure.

Or l’intérêt de cette narration résidait sur quelques notions simples. Elle tablait tout d’abord sur une action longue, se déroulant au travers de plusieurs fascicules. Au contraire d’autres Petits Formats de l’époque où les péripéties d’un personnage quelconque se cantonnaient à 1 voire 2 numéros au maximum, Mirko, lui, nous faisait participer à ses aventures sur bien plus de 2 Pockets. C’est la 1ère clé du succès. A titre de comparaison, dans la même revue, c’est à dire KIWI, les meilleures histoires de Blek le roc ont bien été celles où l’action s’éternisait en rebondissements multiples avec de plus une pincée de mystère (cas de « La chauve souris » par exemple).

Cette clé, cette saga étalée sur nombre de numéros, était ce que les lecteurs appréciaient vraisemblablement sans réserve. Qu’aurait valu une histoire de Mirko cantonnée sur 32 planches simplement, limitée à ce cadre, à ce carcan où tous les mois il aurait fallu réinventer une action avec une mise en situation de départ puis l’action proprement dite et enfin la conclusion et la fin de l’aventure.
Vous imaginez-vous cela ? Un Petit Duc éternellement aux prises avec Corano et ses sbires ? A se battre sur une histoire sans cesse bornée à une trentaine de pages, à réinventer à chaque fois ?
De cette manière, le Petit duc n’aurait certainement pas eu l’impact qu’il a eu !

Mirko représente bien l’épopée romanesque du Petit Format à l’époque. De tous les épisodes du Petit Duc, le plus court se situe juste après la merveilleuse et envoûtante Sambhala, où il échoue en Afrique, affrontant des contrebandiers et des hommes léopard…
Dans cette aventure qui s’étale sur 3 numéros, c’est l’épisode le plus frustrant car justement l’action tourne assez court dans la mesure où il résout tout de suite le mystère et le mène à son terme. De plus l’on sortait du mythique épisode sambhala qui avait tout de même duré pas moins de 9 numéros.

Mais cette façon de faire de Devi était bien sûr principalement due à son imagination. Il fréquentait souvent les salles de cinéma milanaises, plusieurs de ses histoires étant inspirées de films de série B, son interprétation faisant le reste.

L’Aigle de Clermont qu’il dessina chez Lug est d’ailleurs de la même veine que le Petit Duc dont il est contemporain. S’étalant sur nombre d’épisodes, découpés certes différemment, la source en était identique.

De ce fait, la 2ème clé du succès en est, bien sûr, l’histoire. Celle-ci au départ est d’autant plus facile à monter que l’on sait ne pas être limité par le nombre de planches. Une histoire bien bâtie, solide, bien charpentée ne peut être que gage de succès. Action variée, lieux différents, personnages divers, concourent à l’intérêt que porteront les lecteurs. Une bonne histoire doit s’affranchir de l’unicité de lieu et d’espace.
Que faire d’un héros qui combat éternellement les mêmes ennemis ?

Regardez par exemple un autre succès de la BD de Petits Formats : Tex willer, dont l’action s’étale sur plusieurs numéros. Malgré le cadre limité du western, les auteurs ont su le faire voyager et évoluer dans nombre de situations et d’actions qui ne pouvaient que passionner les lecteurs :
Histoires de cow-boys, histoires d’indiens, histoires mystérieuses, histoires fantastiques, histoires de surnaturel, lieux différents comme des grandes villes, le grand Nord, le Mexique, les mondes perdus etc.… Idem pour Zagor.

Enfin la 3ème clé de ce succès, qui à mes yeux a son importance, est sans conteste le graphisme à proprement parler, la qualité du dessin.

Et Devi a donné le meilleur de lui-même avec "Le Petit Duc".
Constatez d’ailleurs les dessins dans Mirko. La maîtrise est bien présente et la façon de faire se mouvoir les personnages ou la manière de jouer continuellement entre les premiers plans et les arrières plans, alternativement noir d’encre, leur donnent un aspect tout à fait surnaturel, original voire magique.
Devi a su en user avec une dextérité incroyable fascinant le lecteur par ce côté ambigu et bien particulier du décor, ce décor angoissant, imposant, onirique.
D’autre part, les situations et les mouvements extrêmes des personnages en donnent un côté surhumain fort attachant. Les corps sont propulsés et renversés au moindre choc ou coup de poing, donnant à la scène un caractère d’autant plus irréel que le héros en est mêlé.

Voilà ce que je pense être la réussite de cette bande. Voilà ce qui me semble avoir fait son succès et en avoir porté impact sur nombre d’enfants. Lorsque l’on voit actuellement profusion d’albums cartonnés ayant quelque succès, avec des dessins somme toute un peu statiques pour certains et, de plus, cantonnés à 48 pages, face à du Mirko, on ne peut qu’être perplexe et regretter que Devi n’ait pas eu la possibilité de développer bien d’autres histoires…

Tex Willer n°516 : La crypte (Editions Bonelli - Milan)
Publié le mercredi 26 novembre 2003 par Jean-Yves Guerre. Mis à jour le 26 novembre 2003 à 20h46.
Commentaires
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  • Visiteur Patrice le 29 novembre 2003 à 10:24

    On ne peut hélas que regretter que cette série soit malheureusement introuvable dans sa totalité et encore plus désolant l’arrêt chez Sémic qui reprenait cette série !
    A quand une édition intégrale ?

    • Visiteur Jean-Yves le 29 novembre 2003 à 10:58

      Entièrement d’accord pour regretter ce fait et l’arrêt des PF chez Semic tombe vraiment mal.
      Si j’étais sûr d’avoir une clientèle d’au moins 200 personnes, je procèderais bien à une réédition de Mirko, mais les trouver n’est pas évident. Enfin !

    • Visiteur Patrice le 30 novembre 2003 à 11:03

      Et pourquoi ne pas lançer une souscription à partir des abonnés de la revue PIMPF et de leur site internet ainsi que des acheteurs de votre excellent livre sur Devi sous réserve d’avoir ces fameux 200 souscripteurs ?
      Je pense qu’il doit y avoir matière à réedition sous cette formule club en PF dans le vivier des amateurs du genre, en tout cas il y en a déjà 1.

    • Visiteur Jean-Yves le 30 novembre 2003 à 19:33

      Effectivement, c’est à creuser... et l’arrêt de l’édition chez Sémic est peut-être une opportunité.

    • Visiteur drouard le 17 janvier 2004 à 11:46

      pour avoir la suite du petit duc il faudrait avoir les droit que semic a actuellement et retrouve un editeur qui ose se lancer dans des reedition de qualite (ce qui est difficcile en ce moments) faute de lecteurs .quel editeur se lanceras dans l’aventure ? a moins que pimpf le face mais avec une centaine de lecteur le succes sera incertins a moins de faire un sondage de ceux qui acheterons ce type de bd amicalementreedit

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