Avec Lost Girls, les éditions Delcourt prennent le risque de le voir interdit par la justice française

Lost Girls est-un graphique déroutant. Dessiné de manière délicate et parfois un peu désuète par Melinda Gebbie, sur un scénario du très iconoclaste Alan Moore, cette oeuvre relate la rencontre jeunes femmes très particulières dans un hôtel de la frontière franco-suisse en 1913. Ce sont Lady Alice Fairchild, aristocrate d’une soixantaine d’années, Wendy Potter, qui a épousé un homme de vingt ans de plus qu’elle et Dorothy Gale, une jeune femme très libérée. Comme pour La Ligue des gentlemen extraordinaires, Alan Moore puise dans la littérature populaire (vous aurez reconnu les héroïnes respectives d’Alice au Pays des Merveilles, de Peter Pan et du Magicien d’0z), mais en prenant résolument le parti de la sensualité. Les scènes à caractère sexuel sont nombreuses et variées, représentées de manière explicite ou parfois avec beaucoup de subtilité, mais elles font partie intégrante du propos de
l’auteur qui donne dans Lost Girls son interprétation de la modernité de l’homme qu’il associe à la perte de son innocence.
Le choix de la date n’est pas innocent, justement, et le monde environnant se prépare lui aussi à perdre certaines de ses illusions. La série a été publiée dans la revue de haute tenue Taboos à partir de 1991, mais elle a été seulement publiée sous la forme d’un coffret contenant trois albums cartonnés de 112 pages chacun en 2006 par l’éditeur indépendant Top Shelf. L’accueil critique et public a été très bon, avec un Harvey Award, une nomination parmi les dix meilleurs graphic novels de l’année sur Amazon.com, plutôt surprenant pour un ouvrage ouvertement pornographique vendu 75 $.
Reste pourtant posée la question de sa traduction en Français, et surtout les risques encourus par l’éditeur en regard de la loi française. Celle-ci réprime sévèrement toute représentation d’actes sexuels avec des mineurs, dans le but légitime de lutter contre la pédophilie, et les éditions Delcourt ont d’ailleurs préféré annuler la publication de Lost Girls en France, avant de revenir sur leur décision et annoncer sa prochaine sortie. En espérant que l’avenir contredira cet adage qu’Alan Moore met dans la bouche de l’un des ses personnages : "Seuls les fous et les magistrats ne peuvent faire la distinction entre les faits et la fiction".
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