Ted Bundy (Dobbs & Alessandro Vitti) – Soleil

Ted Bundy (Dobbs & Alessandro Vitti) – Soleil

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Cinquième volume d’une série, « Serial-killer », initiée par les éditions Soleil et destinée à se pencher sur le cas de quelques-uns des plus célèbres tueurs en série des dernières décennies, ce livre nous propose de (re)découvrir l’itinéraire pour le moins sanglant de Ted Bundy, le premier serial-killer répertorié et qualifié comme tel par les enquêteurs de l’époque.

Évacuons tout de suite les cas précédents comme Gilles de Rais ou Jack l’Éventreur qui ne furent pas clairement identifiés, en leur temps, comme des serial-killers. Ce terme n’est officiellement apparu que dans les années 70 aux États-Unis, justement suite aux exactions de Ted Bundy.

Faut dire que le bonhomme aura largement marqué les esprits de l’époque, et ce pour plusieurs raisons.

La première tient au nombre de ses victimes. La police et le FBI, selon les recoupements émanant des enquêtes de leurs services et des confessions de Bundy lui-même, lui en attribueront une bonne trentaine. Mais ce chiffre ne sera jamais définitivement arrêté, certaines sources parlant même d’une centaine de cas, ce qui est probablement exagéré. Du coup, ce flou autour du nombre exact de ses éventuelles victimes n’a fait que renforcer l’aura maléfique qui planait déjà autour de lui (et s’il était pire que ce que l’on croit ?).

La seconde raison tient à la durée de ses méfaits. Si l’on ne compte que les meurtres pouvant sans aucun doute lui être attribués, il aurait sévi entre 1973 et 1978 (certains évoqueront cependant des crimes antérieurs, dont un premier, peut-être, dès l’âge de 14 ans, ce que Bundy a toujours nié), ce qui, ramené au nombre de ses victimes plus ou moins officielles, lui aurait fait commettre, en moyenne, une agression tous les deux ou trois mois.

Encore faut-il tempérer cette moyenne si l’on considère, et c’est la troisième raison de l’effet Bundy sur les médias et l’opinion publique, que, dans ce laps de temps, il a été arrêté deux fois entre août 1975 et décembre 1977, et que les deux fois il est parvenu à s’évader, tout d’abord d’un tribunal dans le Colorado juste avant d’être jugé pour une première tentative de meurtre (cette cavale ne durera que 6 jours, du 7 au 13 juin 1977), puis d’une prison. Au passage on pourra toujours gloser sur l’efficacité relative de la police de cet état à l’égard d’un type qui était déjà réputé dangereux.

Quatrième raison pour les américains d’avoir été sous le choc à l’époque, Bundy a semé la désolation à travers tous les États-Unis. Il est parti de Tacoma, état de Washington, ville où il était venu vivre avec sa mère dès l’âge de 4 ans, pour terminer en Floride, en étant passé par l’Oregon, l’Utah, le Colorado et l’Idaho, soit un axe nord-ouest/sud-est le long duquel il va semer les cadavres.

La cinquième raison qui poussera l’Amérique de ces mid seventies à s’intéresser à Ted Bundy sera son mode opératoire. Toutes ses victimes, sans exception, étaient des jeunes filles ou des jeunes femmes (les plus jeunes avaient une douzaine d’années, les plus âgées guère plus de 25), blanches. Quasiment toutes portaient de longs cheveux, bruns le plus souvent, séparés par une raie médiane. En fait elles ressemblaient à une certaine Stephanie Brooks avec laquelle Bundy était fiancé en 1973 à Tacoma, et qui avait rompu avec son prétendant, ce dont il semblerait qu’il ne se soit jamais remis. Il aurait donc commis cette hallucinante série de crimes uniquement à cause d’un chagrin d’amour (ceci étant, Bundy a lui-même réfuté ce motif). Une théorie avancée par les psychiatres eu égard à l’attitude de Bundy lors de ses agressions. Après avoir frappé ses victimes à coups de barre de fer, et/ou les avoir étranglé jusqu’à ce qu’elles meurent ou tombent inconscientes (certaines ont survécu, le chiffre de 30 ou 35 comptabilisant toutes les jeunes filles agressées, qu’elles aient survécu ou succombé) il leur faisait subir tout un tas de sévices sexuels, faisant donc preuve, au passage et dans certains cas, de nécrophilie. Un charmant garçon… D’autant que pour une douzaine d’entre elles il ira même jusqu’à les décapiter, et que dans au moins un cas il fera également preuve d’anthropophagie. Au point où il en était… C’est en référence à ce mode quasi unique qu’on parlera de serial-killer, et que ce terme sera ensuite appliqué à de nombreux autres assassins, des gens qui ne s’attaquent en général qu’à un certain type d’individus, qui planifient ces attaques méthodiquement, et qui procèdent quasiment toujours de la même façon sans trop dévier de leurs habitudes.

Bundy sera finalement arrêté en 1978 en Floride, ce qui mettra fin à ses exactions… mais pas à l’intérêt que son cas suscitera dans la société américaine.

Et c’est la sixième raison qui finira d’établir la réputation de Ted Bundy et en fera le premier serial-killer officiel de l’histoire du crime américain. Pendant ses années d’emprisonnement il va beaucoup parler de lui et de ses crimes, y compris, parfois, en se contredisant de manière flagrante, à charge pour ses interlocuteurs de faire la part des choses. Il parlera avec les policiers bien sûr, dont le premier à avoir eu des soupçons à son encontre, à Tacoma, le détective Robert Keppel. Il va aussi rencontrer 2 membres éminents du FBI, dont l’un des premiers profilers, Robert Ressler, qui n’arrivera pourtant pas à en apprendre beaucoup sur son « patient », à part que Bundy était un manipulateur né, et qu’il décrira plus tard tout simplement comme un « animal ». 2 écrivains, Hugh Aynesworth et Stephen Michaud, s’entretiendront également avec lui et lui consacreront deux livres, « The only living witness » et « Conversations with a killer ». La veille de son exécution Bundy donnera également une très longue interview, enregistrée, à un psychologue, James Dobson, dans laquelle il s’étendra avec force détails sur le caractère sexuel de ses agressions. C’est d’après tous ces témoignages, ainsi que par un examen approfondi (7 heures) mené par le professeur Dorothy Lewis de l’Université de New York (qui conclura que Bundy était maniaco-dépressif, on s’en serait un peu douté) qu’on a pu en savoir autant sur la personnalité du tueur, puisque tous ses interlocuteurs, à un moment ou à un autre, ne se sont pas privés d’accorder, à leur tour, force interviews dans la presse, entretenant par là même le mythe Bundy qui est ainsi arrivé à ce qu’il voulait, devenir célèbre.

Bundy ne sera jugé officiellement que pour trois meurtres au cours de deux procès différents, en Floride. Tous deux se terminant par une condamnation à mort. Au cours de son premier procès, après avoir pris des cours de droit en prison, Bundy se défendra lui-même, faisant preuve parfois de véritables crises d’hystérie en plein tribunal. Et au cours du second il se mariera (en vertu d’une loi spécifique à la Floride) avec une de ses correspondantes, Carole Boon, avec qui il aura même une fille, née en 1982. Au terme de plusieurs recours et reports, Bundy sera finalement exécuté, par électrocution, le 24 janvier 1989 à 7 h 16 du matin. A l’extérieur de la prison, plusieurs centaines de personnes attendaient impatiemment cette exécution, tant les crimes de Bundy parurent odieux à l’opinion publique américaine, notamment celui de Kimberley Leach, 12 ans, sa dernière victime juste avant son arrestation, qu’il ira jusqu’à démembrer méthodiquement.

L’une des déclarations les plus fameuses de Bundy, qui figure d’ailleurs en exergue de cet album, est significative de sa personnalité : « En ce qui me concerne je ne pouvais simplement pas me contenir… Je suis le salaud le plus insensible que vous ayez jamais rencontré. ». Ce qui, évidemment, finira d’asseoir la « réputation » de Ted Bundy.

Difficile, vous vous en doutez, en 48 pages, de résumer la vie d’un tel personnage. Le parti pris scénaristique de Dobbs est de faire présenter Ted Bundy par un instructeur du FBI, au centre de formation de Quantico, à des élèves issus du Bureau aussi bien que de la DEA ou des forces de police plus classiques. On assiste donc à ces cours pendant lesquels l’instructeur va s’attacher à évoquer quelques-uns des crimes les plus frappants de Ted Bundy, ainsi que sa personnalité. Certes il ne s’agit pas d’une biographie exhaustive (impossible à dresser en si peu de place), mais d’une synthèse fort bien menée qui décrit les différentes manières de procéder de Bundy, selon les circonstances et ses états d’âme au moment de passer à l’action. Sont surtout évoqués ses crimes les plus emblématiques. Ce qui, évidemment, a dû poser quelques problèmes de conscience à Dobbs et au dessinateur Alessandro Vitti. Compte tenu de la sauvagerie des crimes de Bundy, jusqu’où ne pas aller trop loin sans tomber dans le gore le plus extrême ? A mon sens ils s’en sont plutôt bien tiré, avec parfois des images fortes mais jamais trop explicites pour ne pas être taxés de complaisance et de violence gratuite. Certes l’album n’est pas forcément à mettre entre toutes les mains, ni devant tous les yeux (la mention « Déconseillé aux moins de 16 ans » figure d’ailleurs très visiblement en quatrième de couverture, ce qui est peut-être un poil exagéré, d’autres sources d’information véhiculant certainement beaucoup plus de violence que cet album), mais ce n’est pas non plus la débauche d’hémoglobine que l’on aurait pu craindre, les auteurs s’attardant plus sur les actions de Bundy entre ses crimes que sur ceux-ci, surtout afin de faire comprendre aux lecteurs pourquoi il fut, non seulement le premier serial-killer, mais aussi l’un des premiers pour lesquels l’expression « masque de la normalité » a été utilisé tant il est vrai, quand on regarde les photos le représentant, qu’il ressemblait à « monsieur tout le monde ». En le croisant dans la rue personne n’aurait pu imaginer qu’il était un tel monstre. Et c’est peut-être, finalement, ce qui a le plus frappé l’opinion publique, le fait que Ted Bundy n’avait absolument pas le physique supposé de son « emploi », qu’il aurait fort bien pu être votre voisin… ou votre cousin, d’où un malaise certain à l’évocation de ses meurtres.

Ted Bundy
Scénariste : Dobbs
Dessinateur : Alessandro Vitti
Éditeur : Soleil
Collection Serial Killer
48 pages
12,90 euros
Parution le 27 janvier 2010

Publié le lundi 8 février 2010 par Lionel Dekanel. Mis à jour le 8 février 2010 à 21h34.
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