Strass et Voyous (Christian Chatillon) – Les Portes du Soleil Éditeur

Je vous parle d’un temps que les moins de 50 ans ont toutes les chances de ne pas connaître. 1968, tandis que la France profonde (celle d’en bas dans la version remixée par Jean-Pierre Raffarin) vient de rater une occasion en or de faire enfin sa vraie révolution. Un assassinat va défrayer la chronique, celui d’un obscur homme de main du nom de Stevan Markovic, retrouvé tout ce qu’il y a de plus mort (légèrement faisandé même) du côté d’Elancourt dans les Yvelines. Un fait divers qui aurait pu passer inaperçu si le cadavre en question n’était pas celui du garde du corps personnel d’Alain Delon. Déjà, ça marque au moins les esprits à cette époque où l’acteur fait régulièrement la une de l’actualité en même temps que le bonheur des producteurs de cinéma. Et de fil en aiguille on découvrira que le ressortissant yougoslave fricotait dans des eaux plus ou moins (plutôt plus que moins d’ailleurs) troubles. En vrac seront évoqués les noms de quelques hommes politiques, Pompidou en tête via sa femme Claude, ceux de quelques services vaguement secrets (SDECE, future DGSE, et SAC, l’équipe de tueurs à la solde de Charles Pasqua), et, surtout, de membres du Milieu, donc celui de François Marcantoni, ami personnel de Delon, qui publie donc aujourd’hui ses mémoires…
Sauf que d’affaire Markovic, dans ce bouquin, il n’est guère question, le sieur Marcantoni ayant, semble-t-il, déjà fait paraître sa propre vérité sur cette affaire il y a quelques années. Damned ! N’ayant pas lu le précédent bouquin, la lecture de celui-ci ne fera donc pas avancer mon schmilblick personnel sur ce fait divers. Tant pis… Je me lance néanmoins dans la lecture des 350 pages d’un opus qui, à défaut d’éclairer d’un jour nouveau un fait divers qui a marqué toute une génération, devrait au moins nous faire vivre, de l’intérieur, les tenants et aboutissants de ce qu’on appelle, à tort ou à raison, le Milieu.
Mais là aussi la déception sera au rendez-vous. Pire même, puisque, au fil des pages, le voyou, tel qu’il se définit lui-même, François Marcantoni apparaît de plus en plus antipathique au fur et à mesure qu’il égrène des souvenirs emplis d’une inanité sans nom.
Tout commence pendant la seconde guerre mondiale, que Marcantoni, selon ses dires, passera dans la résistance… Là où une écrasante majorité de la truanderie de l’époque n’aura de cesse de complaire à l’occupant nazi (à commencer par les tristement célèbres Bonny et Laffont, piliers de la rue Lauriston). N’ayant pas connu personnellement cette époque, je lui laisserai le bénéfice du doute. Mais alors quel besoin de se réclamer, au moins une page sur deux, de ce passé de résistant dont il se glorifie tant, comme s’il lui fallait absolument convaincre certains esprits réfractaires ? François Marcantoni décrit à loisir ses faits d’arme d’après-guerre où il n’aura de cesse de truander et voler d’anciens collabos notoires, amnistiés en masse à la Libération, comme pour mieux justifier ses actions que, évidemment, la justice, elle, réprouve. Ce qui ne l’empêchera pas, au demeurant, de travailler pour d’autres ex-collabos, comme Robert Hersant, ce qui, vous en conviendrez, vient mettre un sérieux bémol sur ses prétentions à passer pour le défenseur de la veuve et de l’orphelin qu’il voudrait être. Mais il est bien connu que, quand on aime l’argent, celui-ci, finalement, n’a guère d’odeur, et tant pis s’il est passé avant dans des mains pas très propres.
Autre trait de caractère omniprésent dans les pages de ce bouquin, le sexisme et le machisme dont fait preuve François Marcantoni. Lui qui, pourtant, écrit noir sur blanc et sans rire qu’il est, je cite : « La galanterie faite homme », n’en éprouve pas moins le besoin de cautionner l’attitude pour le moins peu amène de ces voyous qui forment l’essentiel de ses relations, proxénètes et autres gorilles de pacotille, des hommes, des vrais, qui n’hésitent évidemment pas à torgnoler allégrement toute femme qui aurait l’outrecuidance de leur résister, à commencer par les prostituées qui gravitent autour de ce microcosme bien particulier. Mais pas seulement elles, Marcantoni, à deux reprises, et avec force détails, relatant même les quasi viols de l’actrice Martine Carol par Pierre Loutrel, dit Pierrot le Fou, des scènes où, simple lecteur, on ne se sent guère à l’aise, mais que l’auteur décrit avec une complaisance coupable. De toute façon, si une femme se fait légèrement tabasser, c’est qu’elle l’a bien cherché, pas vrai ? Une ligne de défense bien connue dans toute affaire de violence conjugale. Un point de vue bien nauséabond au demeurant. Et ne parlons même pas de l’inévitable effet aphrodisiaque que provoque, chez la ménagère moyenne, fût-elle de la bonne société, la visite inopinée du roi de la cambriole Marcantoni qui finit presque invariablement dans les bras (pour ne pas dire plus) de la dame en pâmoison, à la demande expresse de celle-ci, bien sûr, tant il ne saurait être question pour le galant homme de profiter de la situation. Il est bien connu que toute femme normalement constituée ne saurait résister à la mâle et virile assurance d’un Arsène Lupin venu la délester de quelques babioles de valeur. Risible non ?
A mesure que François Marcantoni égrène ses souvenirs, il aligne comme à la parade les noms de ceux qu’il nomme ses amis, qu’ils viennent de la politique, du sport, du show-business, un vrai bottin mondain de ce que ces milieux (à ne pas confondre, normalement, avec le Milieu, l’autre, le vrai, bien que, parfois, on puisse avoir des doutes) ont à proposer de personnalités peu reluisantes et pour le moins ambigües, toutes foncièrement marquées à droite, voire à l’extrême droite. On a déjà parlé de Delon, mais on y voit aussi apparaître, entre beaucoup d’autres, Sinatra (dont les liens avec la mafia américaine ne sont qu’un secret de polichinelle), Bardot, Eddie Barclay, Guy Lux, Jean-Paul Marchiani, ou même Sarkozy, j’en passe et des plus gratinés. Le ban et l’arrière ban du grenouillage trouble et fangeux.
Mais tout ceci n’est, finalement, que potacheries et badinage léger en regard du discours essentiel de ce bouquin de souvenirs, l’auto-complaisance que François Marcantoni, très imbu de lui-même, étale à longueur de pages. Car le bonhomme, dont la modestie ne semble pas être la qualité première, se décrit, en filigrane, comme le caïd des caïds, celui sur qui retombent fatalement tous les soupçons dès lors qu’un crime ou qu’un cambriolage conséquent sont commis quelque part… Et pas seulement en France. Même un meurtre chez Mickey Rooney aux USA fait peser sur lui des soupçons dus à sa « notoriété »… Comme si les américains n’avaient pas ce qu’il fallait sur place de tueurs compétents pour faire appel aux services d’un second couteau français.
Mais le grotesque et la caricature sont atteints lorsque François Marcantoni traite de ses démêlés avec la justice. En gros, et pour faire court, Marcantoni, l’un des plus grands caïds de l’hexagone, a réussi quelques coups fumants, qu’il décrit bien sûr avidement. Des coups si bien exécutés qu’il n’a jamais été alpagué pour ces hauts faits. Preuve que les flics sont des incompétents notoires. Mais, me direz-vous, il a bien fait de la taule le garçon au cours de sa carrière ? Certes oui, mais, tenez-vous bien, et là on touche au summum du ridicule, les 15 ans de cachot à l’actif de François Marcantoni ne sont que le fruit d’erreurs judiciaires à répétition, à commencer, bien sûr, par l’affaire Markovic. Il le jure sur son honneur (encore un mot qui revient à de multiples reprises dans sa prose, mais il est corse, ceci expliquant probablement cela), il est absolument innocent de tous les faits qui lui ont été reprochés et qui lui ont valu différents séjours derrière les barreaux, tous le fruit de dénonciations calomnieuses de balances fort justement rétribuées d’une bonne dose de plomb pour leur contribution à la recherche de la vérité. Pour un peu on le plaindrait presque de ce harcèlement policier et judiciaire, et on lui ferait presque une standing ovation pour ses actions commises en toute impunité. Certes, on ne peut pas dire que moi-même je porte les institutions policières et judiciaires dans mon cœur, ceci étant je les vois quand même mal laisser systématiquement les coupables en liberté et n’embastiller que des innocents.
Vous l’aurez compris, ce bouquin ne vaut hélas ! pas les arbres qu’il a fallu abattre pour l’imprimer, et, conséquemment, je ne vais certainement pas me précipiter pour mettre la main sur celui qu’il a plus précisément consacré à l’affaire Markovic. J’ai peur que la vérité de François Marcantoni sur cet assassinat ne soit qu’une aimable pirouette surtout destinée à le faire passer pour un martyr victime de circonstances qui le dépassent. Je resterai donc sur ma faim…
Strass et Voyous
Auteur : Christian Chatillon
Éditeur : Les Portes du Soleil Éditeur
352 pages
20,90 euros
Parution le 3 octobre 2009




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