Trilogie Anglaise (Une)

La perle de cet album, c’est évidemment les trente pages qui viennent en exergue de la trilogie - une lettre signée Olivia Sturgess et adressée a son ami de (presque) toujours, Francis Albany, qui vient de mourir a l’âge de 80 ans dans sa retraite de Bath, loin des tapages londoniens. Olivia, bouleversée, y rappelle tous leurs souvenirs communs. Mais, pour mieux en apprécier la saveur, mieux vaut peut-etre replonger d’abord dans la trilogie : le Rendez-vous de Sevenoaks, le Dossier Harding, A la recherche de Sir Malcom. Il faut retrouver le charme subtil de ces intigues cousues de tweed, de ces vieux manoirs, théatres de crimes sanglants qui bousillent vos "pauvres nerfs déja si éprouvés" par le climat pluvieux. Il faut revivre aussi le naufrage du Titanic - drame romanesque s’il en est - revisité par l’imaginaire d’Albany. Donc, Francis Albany vient de mourir. Et cette mort, outre qu’elle justifie la réédition de la trilogie, éclaire une étrange évidence : si Albany est mort, c’est qu’il a vécu. Et tout au long de ces trente pages, Riviere et Floc’h accumulent, avec une finesse éblouissante, les preuves d’existence de leur héros. Albany a bien existé puisqu’a sa premiere émission a la BBC, il a invité Dorothy Sayers a la place d’Agatha Christie qui s’était décommandée parce que son chien était malade ... (ce genre de détail ne s’invente pas !). Il a bien existé puisqu’Olivia le revoit encore lors de leur voyage aux Indes, bousculant une vache sacrée, plongé qu’il était dans la lecture de Kipling. Il y a aussi toutes ces "photos" (ces dessins bien réels de photos fictives - formidable va-et-vient entre la réalité et l’illusion) qui nous les montrent tous les deux aux sports d’hiver, a Ceylan ou a Venise. Cet extraordinaire jeu de miroirs, d’ombres et de fantômes, donne a la trilogie une profondeur vertigineuse et nous procure un plaisir de voyeur : celui de nous glisser un instant dans le processus de la création littéraire et son mystérieux cocktail de réel et d’imaginaire. Et puis, maintenant qu’Albany existe, rien n’empeche Riviere et Floc’h de replonger dans n’importe quel instant de sa vie, en connaissance de cause, puisque cette vie est balisée, authentifiée par l’émotion d’Olivia Sturgess.