
Cuisine centrale Critique de Vivien Arzul
Le neuvième art a la grande force de retranscrire ce qui régit l’intime, de rendre palpables les témoignages et les émotions de personnages fictifs ou réels. Le dessinateur Troub’s, après une résidence en entreprise, a décidé de montrer le quotidien et la communion entre les employés de la cuisine centrale de Montflanquin, un établissement d’aide par le travail où se côtoient des personnalités hétéroclites et sensibles.
L’histoire en deux mots :
Six heures trente du matin, dans le silence de la cuisine centrale, un homme commence sa journée observé par un mystérieux individu avec un carnet à dessin. Les minutes défilent comme les nouveaux arrivants et le dessinateur consciencieux les écoute et les griffonne pour mieux les raconter.
Le scénario :
La grande force de tome réside dans sa narration sous forme de reportage et nous plonge dans l’intimité de la réorientation professionnelle. Le scénariste se contente uniquement de faire le lien entre ces destins, en apportant une certaine harmonie dans la présentation de ces travailleurs.
Cependant, ces derniers crèvent les planches et le lecteur se reconnaît un peu a travers des personnalités bienveillantes ou parfois fragiles. Le scénariste a très bien su mettre en avant les liens extrêmement forts qui unissent les personnes de la cuisine centrale, en évoquant des liens familiaux fictifs qui s’avèrent avec le temps aussi indéfectible que les vrais. C’est aussi pour Troub’s l’occasion de montrer le quotidien d’une profession avec ses exigences, ses rythmes et le bonheur qu’elle procure.
Le dessin :
Ce reportage dessiné se rapproche plus du carnet de croquis que de l’album conventionnel. Mais cela donne tout son cachet au tome et crédibilise l’orientation choisie par l’auteur. Son trait assez nerveux et hachuré témoigne de l’instantanéité de la réalisation des croquis qui ont servi à monter les planches et apporte un supplément d’authenticité au tome.
Cette patte graphique proche du dessin judiciaire montre l’aisance du dessinateur en ce qui concerne l’appropriation de l’essentiel chez un protagoniste et retranscrire en quelques traits sa personnalité ou ce qu’elle dégage. L’album n’a pas de mise en page homogène, mais cela ne gâche en rien le plaisir de lecture, le dessinateur s’attardant ou non sur des éléments qu’il juge important en leur conférant une planche centrale ou une demie planche. Cependant c’est dans le rendu du ressenti de l’atmosphère que Troub’s excelle. A la lecture, on perçoit presque les bruits des cuisines ou de certains bruits mécaniques tant l’auteur s’est immergé au plus près de cette profession.
Cuisine centrale est un album qui rend hommage à un lieu, à des hommes et des femmes qui y travaillent et montre tout ce que cela leur apporte. C’est aussi un fantastique coup de projecteur sur une profession de l’ombre sublimé par le dessin et l’approche de l’auteur.