
Totem (Le) Critique de Vivien Arzul
Il y a des auteurs qui marquent subtilement le monde du neuvième art, avec un album ou une série avant de retrouver pour différentes raisons un relatif incognito. C’est le cas pour Gregory Charlet qui, après nous avoir fait rêver avec une série dans l’univers des stryges et différents albums accompagnés ou non, revient aujourd’hui avec un duo de scénaristes chez Delcourt avec L’île crocodile.
L’histoire en deux mots :
Ernesto est un jeune garçon doux et rêveur au talent prodigieux à la guitare. Pourtant il sent qu’il lui manque quelque chose de profond, d’intime. Le voile posé sur ses origines haïtiennes le pèse et le hante. Et un voyage et la découverte d’un animal totem vont bouleverser la vie du jeune et lui en faire apprendre davantage sur ses racines et sur lui-même.
Le scénario :
Le duo de scénaristes nous livre un récit ravissant et mélodieux comme les chansons d’Ernesto, on se laisse vite embarquer dans ce récit initiatique qui à de nombreuses reprises fera écho au lecteur. En effet, il y a dans cette histoire comme une douce nostalgie de l’adolescence avec ces relations compliquées avec son père, ce lien encore fort avec sa mère ou la rencontre avec Paloma. La magie de l’album réside aussi dans l’aspect énigmatique et superbe de la découverte de l’animal totem qui appuie la musicalité de l’histoire comme un temps de pause bienvenue dans le tumulte des émotions du jeune homme.
Les auteurs ne se sont pas contentés de faire une belle histoire, ils abordent en sous-texte la situation politique de Cuba et nous permettent de découvrir l’intime de cette guerre pour le contrôle du pays.
La construction des personnages est remarquable et l’aura qu’ils dégagent apporte beaucoup au tome, qu’ils soient fugaces comme le vieux Luis ou plus importants comme le père du jeune homme.
Le dessin :
Le dessin de Gregory Charlet est toujours aussi enchanteur et gagne en douceur, comme s’il avait su capter la poésie du récit lors de ses recherches graphiques. L’auteur nous offre un tome contemplatif où l’on aime se perdre dans chaque case pour en découvrir tous les trésors. Certaines pleines pages sont de véritables invitations au voyage et à la quiétude, notamment lors de la découverte de l’animal totem. La réalisation des personnages n’est pas en reste et, bien qu’on reconnaisse immédiatement la patte de l’auteur, il a su saisir l’essence des personnages dans chacun de leurs regards. En effet, le lecteur y perçoit leurs déterminations, leur douce nostalgie ou leur émerveillement du premier coup d’œil.
La musique a un rôle important dans l’histoire et le dessinateur parvient à réussir le tour de force de nous faire ressentir les émotions des mélodies présentes dans le tome comme une bulle de tendresse entre les bulles de bande dessinée, comme c’est le cas avec la mère qui chante pour son enfant.
Enfin, les décors sont sublimes, que ce soient les environnements urbains ou la nature, tout est juste et maîtrisé et met en évidence le travail de recherche graphique de Gregory Chalet dont le superbe carnet de croquis en fin de tome est le témoignage.
L’île crocodile est un bonheur de lecture tant par son scénario que son dessin. C’est un album dans lequel on se laisse embarquer doucement pour ne plus le lâcher et le finir presque trop vite. Les auteurs ont réussi de concert à réaliser un album complet qui reste en tête comme une douce mélodie qui nous accompagne des heures après sa lecture et qu’on aime retrouver à loisir.