
Retraite (Ma) Critique de Vivien Arzul
Adolf Hitler a incontestablement marqué notre histoire par ses actes et décisions terribles et l’idéologie qu’il n’a cessé de prôner. Pourtant le personnage fascine et le flou autour de sa mort après sa chute ajoute un peu de mystère autour du dictateur. Abraham Martinez a choisi de refondre l’histoire telle que nous la connaissons en imaginant une destinée toute autre pour le terrible dirigeant, une fuite où le Führer assisterait en spectateur à l’évolution du monde sans lui.
L’histoire en deux mots :
Avril 1945, la chute du Reich est inévitable, attaqué de toute part. Adolf Hitler organise ses derniers instants dans un monde qu’il n’a cessé de ravager. Alors que tous croient à un suicide, le dictateur prépare sa fuite et va, par un savant stratagème, réussir à rejoindre L’Argentine. Là-bas, cet homme déraciné va devenir le spectateur passif de l’évolution de son pays très éloigné de son Reich de 1000 ans.
Le scénario :
Abraham Martinez parvient instantanément à piquer la curiosité des lecteurs avec l’idée de son album car son hypothèse est proprement fascinante. Le flou qui entoure la mort du dictateur est si grand qu’il rend crédible en partie cette supposition et entraîne immédiatement le lecteur dans le récit.
De plus, le stratagème évoqué est tout à fait plausible et apporte un surcroît de crédibilité aux récits. L’intrigue oscille entre rigueur historique racontant avec exactitude et concision les grands faits d’armes de l’ancien caporal et un humour irrévérencieux décrédibilisant le plus cruel dictateur de notre histoire moderne. Ce savant mélange des genres apporte à la fois rigueur et légèreté, donnant à la lecture un aspect fluide.
Néanmoins, l’aspect le plus soigné de la narration d’Abraham Martinez réside dans ses dialogues très empreints de la bande dessinée classique, avec des phylactères denses et très explicatifs. Ce procédé permet d’exposer au mieux le ressenti d’Hitler sur ce monde qu’il a quitté et de faire état ainsi part de sa rancœur, sa nostalgie et son incompréhension. Le scénariste parsème également son intrigue de plusieurs anecdotes qui raviront les amateurs d’histoire et montrant par cet intermédiaire son rigoureux travail de recherche.
Le dessin :
L’environnement graphique de l’album est indéniablement au service de l’idée maîtresse du scénario. Le dessinateur n’utilise pas ici un trait renversant mais efficace, au rendu certes un peu statique mais profitable à cette ambiance de huis clos intime. Le mouvement est peu présent, mais le dessinateur a su retranscrire parfaitement les ambiances pesantes de la fin de la guerre ou des réunions d’états-majors, et surtout la personnalité d’Adolf Hitler ainsi que la fascination qu’il exerçait sur ses soldats.
Le dessinateur a su adapter son trait à l’humour présent dans le tome en représentant notamment l’ancien maître de l’Europe de manière négligé répéter ses discours dans une minuscule salle de bain une fois en exil.
Les environnements sont certes minimalistes mais reprennent avec exactitude les lieux arpentés par l’homme et montrent qu’Abraham Martinez peut tout à fait réaliser des décors sophistiqués. Enfin, la mise en couleur est en corrélation avec l’ambiance du tome et appuie le sentiment d’échec de l’homme avec ses couleurs ternes, comme on peut le voir sur la superbe couverture qui montre en une image la décrépitude du maître de l’Europe, le visage fatigué en noir et blanc et débraillé avec seul le titre en rouge et en écriture gothique qui appuie cette chute.
Ma retraite est une excellente surprise dans le paysage bande dessinée, son auteur aborde le dictateur avec un regard neuf par son hypothèse à la fois drôle et crédible. Il maîtrise son sujet d’une main de maître pour offrir aux lecteurs une lecture drôle par moment et offrant des pistes de réflexions intéressantes. Abraham Martinez signe ici un album qui fera écho à tous les amateurs du neuvième art souhaitant se diriger vers des lectures à mi-chemin entre le roman graphique et la bande dessinée belge traditionnelle.