
Amant (L’) Critique de Vivien Arzul
Les oeuvres littéraires constituent un véritable vivier d’inspiration pour toutes formes d’art. Le neuvième art n’en est pas exclu et nombreuses sont les adaptations de romans parues au fil du temps. Mais il est rare qu’une autrice japonaise s’intéresse à une auteure française. En effet, Kan Takahama a choisi le célèbre Amant de Marguerite Duras pour en faire un manga loin des standards du genre, retranscrire son amour de l’oeuvre et montrer l’impact qu’elle a eu dans sa vie.
L’histoire en deux mots :
Marguerite Duras est en transit dans une gare parisienne, un inconnu l’aborde et lui exprime sa reconnaissance pour son travail littéraire. Une fois chez elle, cette entrevue va plonger la romancière dans une certaine nostalgie. Elle se souvient, l’Indochine, ses 15 ans, sa première relation, son amant....
Le scénario :
Le travail d’adaptation de Kan Takahama est remarquable, elle a su grâce à sa parfaite connaissance de l’oeuvre retenir les moments clés du support original. La lecture est ainsi plus digeste, la scénariste ne se fourvoyant pas dans des détails superflus et braque son projecteur sur cette romance passionnée.
L’histoire d’amour est parfaitement retranscrite, l’auteure n’oublie aucune étape et parvient à en faire ressentir toutes la forces de cet amour à ses lecteurs. Ce fil rouge constitue la véritable force du tome car cette passion sans limite tient le lecteur en haleine autant qu’il lui rappellera son premier amour.
Cependant, Kan Takahama ne se focalise pas uniquement sur cet aspect de l’oeuvre dans son adaptation, elle traite aussi du climat économique et social du pays, abordant la vie dans cette Indochine française avec l’importance du rang social et de la ségrégation et permet aux lecteurs de comprendre certaines réalités de l’époque. La bande dessinée est surtout une invitation à découvrir le livre de Duras car, malgré la très bonne pagination de l’album, le lecteur perçoit l’immense potentiel du roman à travers ce tome et les détails qu’il n’a pas la chance de découvrir.
Le dessin :
L’immense point fort de l’album est incontestablement le trait de la dessinatrice qui a mis toute son âme et son talent dans ce tome à l’ambiance remarquable. Cette bande dessinée est, dès les premières cases, un dépaysement dessiné et une invitation au voyage avec ses couleurs pastel maîtrisées. La dessinatrice a su retranscrire parfaitement le sentiment amoureux et ses prémices en empruntant notamment les codes graphiques du manga.
Mais c’est dans les jeux de regards que l’auteure a sus capter justement ces premiers émois. Les personnages sont fidèles au descriptif de l’oeuvre originale, mais possèdent une aura propre qui n’en font pas un simple copier-coller, montrant l’implication de la dessinatrice dans cette adaptation. La poésie qui se dégage du tome est enchanteresse et le lecteur vagabonde paisiblement de page en page grâce à son environnement graphique suave.
La mise en page épouse la narration douce et laisse place à de grandes cases parfois épurées, donnant toutes sa place aux superbes environnements qui transportent le lecteur dans une Indochine colonisée presque oubliée désormais.
Cette adaptation de l’Amant est une réussite, l’auteure a su transmettre dans son album tout son amour pour l’oeuvre de Duras en lui apportant son regard et sa sensibilité. Le dessin est incontestablement l’élément qui donnera aux lecteurs l’envie de parcourir l’album tant il fascine par sa maîtrise et son aspect envoûtant. Enfin, et surtout, il est un bel hommage et une bonne porte d’entrée pour découvrir le roman de la grande Marguerite Duras.