
Damned Critique de Vincent Lapalus
Voici le troisième opus et collaboration entre Brian Azzarello et Lee Bermejo dans l’univers du Chevalier Noir. Après Batman Deathblow, une histoire d’espionnage dans laquelle Batman résoud une enquête débutée dix ans plutôt par Michael Cray et dont le scénario avait désarçonné les lecteurs (comment ne pas l’être quand la CIA est mêlée au complot), avait suivi Joker, un incontournable one-shot sur le clown psychopathe-homicide, savoureux et baroque, avec une vision très glauque du pitre criminel et hors continuité.
Nos deux compères se retrouvent donc pour pondre un nouveau volet et achever une sorte de trilogie sur le Caped Crusader de Gotham.
Le Joker est mort et Batman est mortellement blessé. Lui-même dans un état critique, il demande l’aide à son célèbre majordome, qui a préféré prendre la tangente. Le salut viendra de la part d’une étrange association, puisque John Constantine prêtera main forte au “Bat” et dénouera toute cette affaire. Joker n’est plus et la chauve-souris est au plus bas physiquement, et doit faire face à des pertes de mémoires. Gotham part en flamme, la ville devient folle. Et là, le surnaturel fait son entrée pour une descente infernale du héros.
Estampillé Black Label DC, Batman Damned se paye un traitement plus adulte que sous le sceau commercial. Ca aurait pu être un best comme son prédécesseur Joker toujours par la même équipe, mais malheureusement ce n’est pas le cas. Brian Azzarello s’enlise dans une histoire qui est en demie-teinte, mêlant ésotérisme et une pointe de religion. On ne comprend pas toutes les subtilités et les ficelles employées par le scénariste, qui sont parfois un peu faciles : le début de troisième chapitre où une chute vertigineuse qui tuerait n’importe quel mortel se révèle finalement sans grande conséquence. Et arrivé à la dernière page, un goût assez amer de "tout ça pour pas grand-chose" une fois l’ouvrage refermé.
C’est verbeux, même si le narrateur n’est autre que le célèbre magicien-escroc natif de Liverpool, mais rien n’y fait, on décroche assez facilement et l’histoire manque de profondeur malgré la longue descente que vit Batman. Les quelques personnages comme Zatanna, Harley Quinn ou Deadman, qui arpentent les pages ne sont sujets qu’à de breves réinterprétations un peu creuses. C’est lourd, pataud, vide. En bref, Azzarello a un gros problème avec le genre super-héros. Il ne sait pas en écrire correctement et ses comics indépendants sont biens plus réussis, le commercial ne lui convient tout simplement pas.
Il en est tout autre pour Lee Bermejo, son dessin est magnifique. Réaliste à souhait, photogénique, avec une superbe palette de couleur. L’artiste affiche les postes de dessinateur, encreur et coloriste pour Batman Damned. Il veut un contrôle graphique total et affiche une maîtrise hallucinante de ses outils. Les personnages sont effroyables de réalisme, les costumes, les plis et les effets de peau, les mouvements de cape pour Batman, les arrière-plans de bâtiments, jusqu’au traitement de la lumière et des ombres, la ville en flamme et des couleurs incendiaires. Un vrai travail de titan, qui fait de Lee Bermejo, un des meilleurs illustrateurs de comics.
Au final Batman Damned n’a pas sa place aux côtés des chefs-d’oeuvres que sont les DK de Frank Miller, Killing Joke et autre White Knight, Long Halloween ou Année 100. Bermejo aurait mérité une histoire qui se hisserait au niveau de son talent, une pure tuerie graphique. La faute à un scénariste qui a écrit des séries qui ont marqué leur époque (100 Bullets et Hellblazer en tête) mais qui perd toute sa verve créatrice quand il touche au super-héros.
Beaucoup de bruit pour rien. Une déception...