Graines de bandits
Oneshot

Graines de bandits Critique de Vivien Arzul

Parution: 28 août 2019
1 édition recensée
Nous sommes en Amérique et le calendrier affiche 1973. Par ici, la modernité vient tout juste d’arriver. Pourtant, il suffit de s’éloigner de la ville de quelques centaines de kilomètres pour reculer de plusieurs décennies. Tout est contraste, (...)

Certains auteurs font une arrivée fracassante dans le paysage du neuvième art européen, leurs albums touchent tellement le public qu’ils se font vite une place dans les cœurs des lecteurs. C’est le cas d’Yvon Roy avec son tome Les petites victoires qui traite avec justesse de l’autisme et s’est vu récompenser par de nombreux prix, dont une mention spéciale au festival d’Angoulême. L’auteur revient avec une tranche de vie amère entre la force de l’imaginaire et la désillusion de la vraie vie, sur son enfance et son quotidien avec son frère.

L’histoire en deux mots :
1974 au Canada, une voiture parcourt l’immense nature majestueuse avec à son bord une famille. Les deux garçons sont ébahis devant le spectacle et les parents aspirent à une vie paisible sur le terrain qu’ils ont acheté. Mais les choses ne vont pas se passer comme prévu et le rêve d’hier va devenir une réalité bien morne et pousser les deux frangins à faire des bêtises puis devenir de véritables graines de bandits.

Le scénario :
Yvon Roy aborde sans concession ce moment de son existence en relatant avec une extrême justesse l’évolution des différents liens qu’il entretient avec ses proches. Le scénario repose sur un jeu d’opposition entre le renforcement des liens entre les deux frères et la distance qui s’instaure entre les parents.
Il est très agréable de découvrir cette relation fraternelle faite de bêtises, de serments d’enfants et d’explorations, car elle peut faire échos à tout type de lecteur. Cette fraternité toute puissante donne lieu à de très beaux moments, comme lors de la construction de leurs karts qui se révèle être un véritable hommage à l’ingéniosité de l’enfance. Le scénariste ne se focalise pas uniquement sur l’enfance, il montre à quel point les adultes deviennent fragiles, manipulables ou instables face à certaines difficultés de la vie comme c’est le cas avec leur mère qui passe d’une mère aimante à maltraitante. En sous-texte, Yvon Roy aborde aussi les dérives religieuses sectaires que cette fragilité pousse à rejoindre en montrant leur père se raccrocher à cela pour oublier ses difficultés.
Mais la grande force de l’album réside dans la retranscription de la force de l’imaginaire de l’enfance. En effet, le personnage principal se sert de son imagination pour échapper à la violence de son quotidien et donne lieu à des rêveries enfantines délicieuses. De plus, ce choix narratif donne une histoire en arrière-plan apportant du corps à l’intrigue principale.
Enfin la narration tout en douceur rend cette lenteur du temps qui passe propre à l’enfance perceptible et replonge le lecteur dans l’insouciance de ses jeunes années.

Le dessin :
Ce qui frappe dès les premières pages, c’est la place accordée au graphisme, avec des cases aérées qui laissent au lecteur le soin d’apprécier la maitrise de l’auteur dans la retranscription du quotidien. Les environnements sont magnifiques et on se perd volontiers dans cette campagne canadienne bucolique. La réalisation de cette nature est réussie et donne lieu à de grandes cases détaillés montrant la richesse du terrain de jeu des enfants.
L’album étant assez contemplatif par son découpage et sa mise en avant de l’introspection de l’imaginaire, il n’en est pas dénué d’une certaine action. En effet, l’auteur se sert des rêves pour ajouter crash d’avion et bagarre épique, tranchant avec l’ambiance du récit. L’auteur a su illustrer avec justesse la violence faite aux enfants que ce ne soit pas de grande case choc où l’on voit la mère frapper le jeune garçon avec un regard empli d’une fureur incroyable. Mais il insiste par des cases saisissantes sur l’impact psychologique de ces coups, en montrant les crises d’angoisse avec des créatures inquiétantes accompagnant ses nuits.
Enfin, le dessinateur a su donner une expressivité incroyable à ses personnages, qu’ils soient principaux ou non, le lecteur perçoit chaque émotion de ces derniers. Même le plus infime comme la rancœur devient palpable, mais là où l’auteur réussit cette transcription émotionnelle, c’est dans la colère et l’incompréhension du garçon face à la vie et aux adultes.
Yvon Roy donne à son histoire un écrin graphique à la hauteur de son histoire à la fois pudique et cruellement réaliste mais toujours habillée d’une certaine douceur qui donne envie au lecteur de parcourir le tome

Graines de bandits est un nouveau pari gagnant de l’auteur, même s’il est peut-être moins impactant que l’album qui l’a propulsé dans la cour des grands. Mais son histoire sincère se montre être une formidable ode à l’enfance tout en dénonçant beaucoup de choses en sous-texte. Le dessin harmonieux parlera à tout type de lecteur et saura les séduire pour découvrir les tribulations de ces garnements.

Par Vivien Arzul.
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