
Chiisako’s garden Critique de Vivien Arzul
En cette rentrée littéraire, Véga éditions revient avec un titre sensiblement différent à leurs sorties habituelles. Pas de Seinen, réaliste ou décrivant une période historique violente, mais un tome unique, mélodieux et bucolique transportant le lecteur auprès de petites créatures : les chiisakos. Ces êtres de légende font référence à une divinité nommée Sukunahikona et sont l’oeuvre de Yuki Kodama qui est à la plume et au pinceau de ce manga véritablement enchanteur.
L’histoire en deux mots :
Chiisako’s Garden est un recueil de cinq nouvelles avec pour toile de fond les chiisakos, leurs coutumes et leur attachement à la nature. Que ce soit dans les yeux d’une enfant, dans un souvenir de jeunesse ou dans le quotidien d’un adolescent solitaire, la présence de ces créatures va bouleverser leurs vies et laisser une empreinte indélébile.
Le scénario :
Ce qui frappe le lecteur lors de la découverte de l’album, c’est le profond sentiment de sérénité qui se dégage de chaque récit. Chaque tranche de vie est décrite avec une rare justesse et le lecteur se trouve intimement lié à tous les personnages. De plus, les différentes histoires qui composent ce tome abordent des moments de la vie différents, permettant à un large lectorat de s’identifier ou de revivre par moments certaines situations de leur vie. Les chiisakos sont plus souvent des spectateurs de l’existence humaine et leur spécificité de n’être vu que de certaines personnes en fait des êtres rares, rendant leurs interactions précieuses. Le caractère bienveillant de ces petits personnages est une bouffée d’oxygène tout au long du tome et lui apporte un supplément d’âme indéniable. Le scénariste a su donner aussi des contraintes cruelles à ses petites créatures pour contrebalancer la clémence qu’elles dégagent. Cependant, ces entraves logiques débouchent sur une chose positive comme la connaissance du sentiment amoureux ou le passage à l’âge adulte. Les cinq nouvelles sont quant à elles très bien équilibrées, aucune n’éclipsent l’autre et chacune à une teneur émotionnel propre. Enfin, Yuki Kodama a eu la bonne idée de décrire un peu décrire les coutumes des chiisakos dans une histoire particulièrement tendre où l’auteur parvient à parler avec pudeur de la mort, du renoncement et de l’accomplissement d’une vie.
Le dessin :
Tout comme le scénario, c’est la délicatesse du trait, qui vient comme une caresse inviter le lecteur à parcourir les planches de l’album. Le dessinateur a su retranscrire à merveille l’émotion du scénario juste par une représentation des sentiments de ces personnages. La candeur et l’enthousiasme de la fillette du début sont tangibles et son enthousiasme communicatif rend les chiisakos de suite sympathique. Le dessinateur est parvenu à la manière d’un Taniguchi à retranscrire de manière photographique la splendeur du quotidien, il émane de chaque vignette une douceur magique qui pousse le lecteur à un plaisir contemplatif. La représentation de la nature est sublime et disséminée par petites touches pour donner au lecteur un sentiment de quiétude et de majesté. L’auteur a également réalisé un très joli travail dans la reproduction des ombres, notamment lors du passage avec Koto Ha dans les sous-bois où le lecteur peut percevoir à la fois la fraîcheur et la douceur rassurante des feuilles qui lui font de l’ombre. Le découpage très européen permet d’aérer les planches pour accentuer ce sentiment de quiétude qui habille le tome tout en décrivant très bien les actions proposées. Enfin les dessins en pleine page qui chapitrent les pages sont superbes et sont des ambassadeurs du talent de Yuki Kodama tant ils synthétisent la narration d’une nouvelle en une illustration.
Chiisako’s Garden est un Seinen différent, qui saura plaire à tous les amateurs du neuvième art tant son scénario est universel. Les nouvelles touchantes sont un bonheur à découvrir et on se retrouve un peu orphelin de ces créatures lilliputiennes une fois l’album refermé avec son ambiance graphique hors normes et ses histoires d’une rare intensité. Ce Seinen a tous les arguments pour devenir un incontournable du neuvième art japonais.