
Journal d’une vie tranquille 1 Critique de Vivien Arzul
Le genre autobiographique n’est pas le plus facile à traiter car l’intéressé doit parvenir à choisir les événements de sa vie qui soient en mesure de captiver son lecteur. C’est un des derniers challenges de Tetsuya Chiba, l’illustre auteur d’Ashita no Joe, un manga avec la boxe pour toile de fond montrant l’évolution à travers ce sport d’un orphelin dans la misère. En nous livrant sa vie, il présente avec humour et pudeur le regard d’un homme sur la vie de mangaka, la guerre et la défaite japonaise tout en en évoquant avec malice le temps qui passe inexorablement.
L’histoire en deux mots :
Tetsuya Chiba vit paisiblement sa vie de mangaka à la retraite auprès de sa femme et dans son petit confort. Pourtant, son éditeur le harcèle pour reprendre les pinceaux afin de produire une dernière oeuvre, mais l’illustre dessinateur se sent trop vieux pour respecter les cadences infernales de sa profession. La mort d’un de ses amis mangaka va le pousser à se raconter durant chaque étape de sa vie en évoquant surtout son enfance insouciante en Mandchourie jusqu’à l’exode après la défaite japonaise en 1945.
Le scénario :
Tetsuya Chiba revient avec beaucoup de pudeur et d’humour sur sa vie. Il parvient à la rendre passionnante, tant son enfance est romanesque. Le choix scénaristique de faire évoluer son récit entre son enfance, sa vie quotidienne actuelle et quelques flash-backs sur sa vie d’adulte peut paraître un peu déroutant, mais il montre avec justesse les souvenirs qui remontent pêle-mêle.
Ces retours en arrière ne sont qu’une parenthèse pour faire patienter le lecteur sur l’histoire de son enfance qui se trouve être une toile de fond captivant dans le récit.
L’auteur raconte avec son regard d’enfant son quotidien de fils d’expatriés en Mandchourie, loin des tumultes de la guerre du Pacifique dans un premier temps. Il traite ce passage de va vie sous deux points de vue : celui de l’insouciance dû à l’enfance en racontant ses jeux, ses bêtises et dévoile avec beaucoup de tendresse ces moments précieux en famille dans une paix toute relative. Puis, il décrit avec beaucoup de justesse le climat politique et les tensions avec la population chinoise dans cette atmosphère de guerre à la fois lointaine mais imminente. Il parvient surtout à rendre palpable le cataclysme de la défaite japonaise et ses conséquences avec les pillages, les expropriations et l’exode inévitable. Chacune des anecdotes est une mine d’informations historiques incroyables sur le sort de ces ressortissants livrés à eux-mêmes après la capitulation.
L’auteur permet au lecteur d’en apprendre plus sur les conditions de vie et de travail d’un mangaka en nous livrant sans détour son quotidien dans cet univers Il égratigne avec humour une profession exigeante où les cadences de production infernales sont omniprésentes. Il nous en apprend plus grâce à ses souvenirs surs d’illustres mangakas, faisant de ce récit une formidable source de renseignement sur ce milieu.
Enfin, l’auteur a su avec authenticité conjuguer la force de ses souvenirs et son humour pour livrer un témoignage unique sur la vie japonaise du XXème siècle.
Le dessin :
Inutile d’épiloguer sur le talent de Tetsuya Chiba, sa prestigieuse carrière parle pour lui. Cependant, il parvient à donner un supplément d’âme indéniable à ses planches, comme si parler de sa vie transcendait son trait. Le dessinateur parvient à immerger le lecteur dans chaque étape de sa vie grâce à un graphisme d’une justesse hors normes captant la quintessence de chaque souvenir pour livrer des planches grandioses.
Les décors sont superbes et nous plongent immédiatement dans les différentes époques grâce aux pages regorgeant de détails. L’énorme point fort graphique de ce tome est sans nul doute la retranscription quasi cinématographique de l’exode qu’il vit avec sa famille. Le dessinateur arrive avec brio à rendre tangible cette fuite vers l’inconnu, aidé par des personnages véhiculant aux plus justes leurs émotions. En effet, Tesuya Chiba nous transmet au mieux leurs peurs et leurs doutes.
Chacun des personnages, même les plus furtifs, est attachant et charismatique, comme pour rendre un hommage éternel à ces hommes et ces femmes croisés durant son enfance.
Les différents hommages à d’autres grands noms du manga sont un procédé intéressant, autant dans l’histoire que dans le dessin car l’auteur a eu la bonne idée d’accompagner ses cases par de véritables photo afin que le lecteur puisse mettre un vrai visage sur les caricatures Tetsuya Chiba.
Enfin, l’auteur a su créer une couverture superbe à son tome qui sait titiller immédiatement la curiosité du lecteur.
Vega édition nous présente une nouvelle pépite du pays du soleil levant avec ce tome de Tetsuya Chiba. L’auteur y montre que le temps qui passe ne lui a pas fait perdre son incroyable talent graphique et scénaristique en nous embarquant dans ses souvenirs les plus intimes.
Un indispensable, pour les amateurs de manga et pour les néophytes qui découvriront à travers une vie romanesque les coulisses de cet art. Un tome qui saura plaire également au plus réfractaire tant la narration est soignée et immersive.