Kraken
Oneshot

Kraken Critique de Vivien Arzul

12 septembre 2018 - Album 104 pages - Édité par Soleil

Les mythes et les légendes sont d’excellents points de départ pour faire naître une histoire. Emiliano Pagani et Bruno Cannuciciari ont choisi une créature allégorique pour créer une histoire complexe et fascinante qui flirte avec plusieurs genres. En effet, les deux auteurs ont su articuler leurs Kraken entre polar, horreur et drame familial pour livrer un album mature et passionnant.

L’histoire en deux mots :
Au cœur de la grisaille parisienne, un curieux pêcheur arpente les rues sous les yeux médusés des passants. Il s’agit de Damien, un jeune garçon de province, venu rencontrer Serge Dougarry, un animateur télé qui enquête sur les créatures abyssales, afin de lui demander de l’aide. Le garçonnet, seul rescapé d’un naufrage, est persuadé que le Kraken est responsable de la mort de son frère et de l’équipage, il persuade l’animateur avec l’aide de sa mère de dévoiler les mystères qui planent dans un petit village reculé qui va se révéler surprenant à de nombreux points de vue.

Le scénario :
Emiliano Pagani, en utilisant les codes de nombreux genres, réalise le tour de force d’utiliser une créature mythique dans un contexte contemporain, tout en prenant totalement le lecteur à contre-pied. L’auteur tire parti des genres narratifs pour livrer un récit d’une richesse incroyable. Le scénariste parvient à donner dès les premières scènes une ambiance inquiêtante à l’album qui monte crescendo, pour déboucher sur un final bluffant.
Cette ambiance est très réussie au sein du village de Damien car elle est appuyée par d’ancestrales superstitions et des habitants taiseux et renfermés. Tous ces éléments donnent au village reculé une dimension hors du commun marqué par un passé macabre. De plus, cette atmosphère sinistre est accentuée par la découverte de nombreux cadavres tout au long du récit. Cette ambiance est sublimée par les divers personnages qui peuplent le récit dont la construction est remarquable. Que ce soit l’évolution de l’animateur, qui passe d’un comportement de perdant alcoolique à celui d’un enquêteur, certes maladroit, mais que cette histoire va changer. Ce personnage profond est attachant car il possède des failles communes à tous.
Le protagoniste qui sort du lot est sans nul doute Damien, qui se révèle subjuguant par sa psychologie fragile et son univers unique. Avec ce jeune garçon rêveur et ingénu, l’auteur aborde le thème de l’exclusion et du manque de tolérance pour ceux qui ne sont pas dans la norme. Cela permet également de montrer encore une fois le comportement autocentré de la population.
Les personnages secondaires ne sont pas en reste et apportent un plus indéniable au récit, comme le pêcheur qui se veut protecteur et véhicule les nombreuses superstitions, ou la mère de Damien, au bord de la dépression, qui se montre pour autant une mère courage au bord de la noyade.
L’auteur met en aussi en sous-texte une critique écologique intelligente en abordant la pêche à outrance ou encore les plate-formes pétrolières qu’il compare à un Kraken moderne.
Le scénariste réalise une histoire surprenante et palpitante, aidé par une chasse aux chimères floue qui passionne le lecteur de la première à la dernière page.

Le dessin :
L’ambiance graphique du tome est superbe : dès les premières planches, on perçoit instantanément l’atmosphère inquiétante du récit avec ce Paris au ciel sombre et orageux. Le tout est accentué par une utilisation et une maîtrise du noir et blanc remarquables. Ce choix chromatique apporte énormément d’impact à certaines scènes comme la découverte des corps ou encore le naufrage du bateau du frère de Damien.
L’auteur excelle dans la réalisation de ses personnages, il parvient à faire porter sur leurs visages, leurs émotions et il utilise l’apparence caricaturale de certains personnages pour grossir le trait. Cette exagération est utilisée tout au long du tome avec des personnages de diverse importance, comme c’est le cas au début du tome où le dessinateur à su croquer parfaitement l’incompréhension, voire le dégoût, des passants vis-à-vis de Damien. Le dessinateur parvient à retranscrire fidèlement chaque émotion de ses personnages, collants ainsi au plus près à l’ambiance du tome.
La mise en page et le découpage sont très cinématographiques et accompagnent à merveille le lecteur dans cet univers parfois glauque. L’auteur a pris soin de faire souffler son lectorat avec des doubles planches sublimes, montrant toute sa maîtrise graphique. Le dessinateur ponctue également ses planches de cases chocs comme celle des découvertes des morts rejetés par la mer. Ces dernières regorgeant de détails marquants ne laisse pas le lecteur indifférent et montre la volonté du dessinateur d’être au plus près de la réalité.
Les environnements sont magistralement dépeints, on ressent la fureur des vagues lors des passages en mer, mais aussi le calme et l’intimité lorsqu’on découvre la chambre de Damien. Mais, surtout, c’est le théâtre de l’histoire qui est une vraie réussite avec son aspect malsain. Le village a des airs de décor de film d’horreur avec ses éléments hors du temps. D’ailleurs certaines cases évoquent clairement ce registre, tout est vieillot, inquiétant, les routes isolées et désertiques, l’obscurité omniprésente. Tout cela accentue son côté peu engageant.
Enfin le dessinateur réalise une couverture sublime ent total décalage avec le véritable propos de l’album.

Kraken est un livre somptueux à l’ambiance graphique superbe qui nous plonge dans une chasse aux monstres fascinants.Il y règne superstition, atmosphère sinistre et une pointe de fantastique. Les rebondissements inattendus qui peuplent le tome font de Kraken, un album stupéfiant aux grandes qualités.

Par Vivien Arzul.
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