Gregory Sand I

Gregory Sand I Critique de Vivien Arzul

13 avril 2015 - Édité par Wanga

Le vaste monde du neuvième art n’a plus vraiment de frontière, et les auteurs ne se cantonnent plus au style réservé à leurs origines géographiques. Cette mixité culturelle apporte à la bande dessinée, au manga et au comic une richesse supplémentaire permettant de revoir les codes propres à ses différents genres.
Les deux auteurs français de la série Gregory Sand ont choisi d’utiliser le format comic et ses codes pour sortir leur album fantastique sur les cauchemars, les terreurs nocturnes et les créatures qui peuplent nos songes. Josselin Billard au dessin et Romain Mobias au scénario sont les instigateurs de ce comic pas comme les autres qui vous transportera et vous montrera que le pays des rêves n’est pas toujours paisible.

L’histoire en deux mots :
New York, par une sombre nuit pluvieuse. Un homme court pour échapper à la police. Après avoir parcouru quelques rues, il est coincé et mis en joue. Mais ce combat n’est pas le premier pour le gardien des rêves, qui va devoir affronter des forces de plus en plus noires pour garantir l’équilibre dans le pays des songes.
Malgré la gravité de la situation, l’homme mystérieux reste étrangement calme et demande comment se porte l’enfant qu’il a aidé plus tôt dans la journée. En effet, quelques heures auparavant, Gregory Sand a secouru une enfant victime de terribles terreurs nocturnes. En entrant dans ses rêves, il va terrasser les monstres qui la tourmentent en usant de toutes les ressources que lui offre le monde des rêves. Après un combat aussi dur que surprenant il parvient à lui faire retrouver la quiétude du sommeil.

Le dessin :
Avec Grégory Sand, Josselin Billard signe son premier album et avec lui, le jeune dessinateur montre tout son potentiel créatif à travers ses planches. Il a su avec brio mettre son trait au service de l’album et l’adapter aux situations changeantes exigées par l’histoire. L’auteur a merveilleusement retranscrit toutes les ambiances qui jalonnent le tome, en lui donnant un cachet unique, que ce soit à travers les scènes tortueuses ou loufoques du monde des rêves ou encore la superbe scène sous la pluie en bichromie renvoyant inconsciemment au polar noir.
À la lecture de l’album, on ressent que le dessinateur a pris un plaisir immense dans la réalisation des nombreux monstres qui peuplent le tome. En effet, il a pris soin de créer un bestiaire riche, avec des créatures effrayantes aux apparences démoniaques. Ces derniers sont très détaillées et exhalent une aura renforçant le climat d’insécurité du monde des songes. Mais l’auteur accentue aussi cette ambiance avec l’ajout d’ombre malfaisante faisant écho avec intelligence aux peurs enfantines.
Le seul bémol à noter dans ce tome, c’est l’impression parfois trop sombre qui nuit à la lisibilité et à la compréhension sur certaines planches.
Cependant, il y a deux éléments où Josselin Billard sort son épingle du jeu et donne à cet album une ambiance unique. D’abord grâce à la mise en couleur qui sert véritablement chaque planche, l’auteur y joue avec les codes couleurs alternant planches aux couleurs vives et planches en bichromie sublime, donnant un cachet et une atmosphère remarquables à ce tome. De plus certaines doubles pages aux couleurs chatoyantes permettent aux lecteurs de se reposer dans ce récit à l’ambiance très sombre.
Ensuite, le découpage de la bande dessinée est brillant, l’auteur joue avec tous les codes pour donner à ses planches une ambiance très cinématographique, comme au début du tome ou avec la planche en gaufrier montrant avec exactitude la chute d’un homme dans le vide. Le découpage sert également à merveille les affrontements entre Gregory Sand et les créatures cauchemardesques mettant en exergue la tension et la cruauté de ces derniers.
Josselin Billard montre tout le potentiel de son talent à travers un tome abouti aux nombreuses promesses pour l’avenir.

Le scénario :
Romain Mobias pour ce scénario a dû puiser dans son expérience personnelle pour créer ce justicier des rêves. En effet, c’est alors qu’il se trouve impuissant face aux terreurs nocturnes de son fils que l’idée de de Gregory Sand germe dans son esprit. Il incorpore avec brio son vécu à travers le premier sauvetage mettant en scène un enfant en proie à des terreurs nocturnes. Ce procédé renvoyant le lecteur à ses peurs enfantines permet une identification et une implication importante, quel que soit son âge.
De plus, l’auteur plonge le lecteur progressivement dans un monde des rêves plus complexes qu’il n’y paraît. Le scénariste ne se contente pas d’un affrontement manichéen classique, il donne du corps à son univers en lui apportant une mythologie et une trame aux enjeux importants... Cette évolution permet une implication accrue du lecteur tout en le tenant en haleine. On peut noter aussi un artifice emprunté au manga : l’auteur fait affronter à son héros des monstres de plus en plus forts en faisant planer le risque d’une ennemie plus dangereuse encore.
Même si l’univers dépeint est très sombre, Romain Mobias a su le contraster astucieusement grâce à un humour subtilement dosé. En effet, pour vaincre un être cauchemardesque, Gregory Sand se voit habillé en quelque chose qui rassure la victime. Il se retrouve alors, ours en peluche, pirate ou encore parodie de super héros. Le scénariste a su utiliser à bon escient la force créative des rêves pour un monde où tout est réalisable. On l’observe notamment durant les combats qui regorgent de trouvailles propres à cet univers.
Néanmoins, le scénariste lui donne aussi des limites, permettant au récit de garder une structure cohérente. On peut le voir lorsque le gardien des songes est obligé de quitter un rêve trop faible pour affronter un adversaire trop retors et se voit obligé d’en trouver un plus puissant pour l’aider à faire face à la menace. Cette limite permet au héros de rester faillible et au lecteur de s’identifier à lui malgré son caractère fantastique. Enfin, le scénariste utilise à merveille un des codes narratifs propres aux comics en mettant en place un cliffhanger scénaristique à la fin du tome
Romain Mobias a su créer une histoire extrêmement riche autour d’un personnage charismatique pourvu d’un supplément d’âme indéniable dans un environnement aussi surprenant que menaçant.
Gregory Sand est un album fascinant, plongeant le lecteur dans un univers fantastique faisant écho à leurs cauchemars et leurs angoisses. Une série menée de mains de maîtres par un duo d’auteurs complémentaires, un album sombre et parfois drôle qui vous transportera dans une guerre féroce se tramant dans le monde des rêves

Gregory Sand est un comic qui joue intelligemment avec nos peurs et le folklore du monde des rêves. Son dessin soigné séduit immédiatement le lecteur pour le plonger dans cet univers riche et fascinant. Une série pour rire de ses peurs tout en suivant les aventures de personnages uniques et attachants.

Par Vivien Arzul.
A lire également