Bionique
Oneshot

Bionique Critique de Vivien Arzul

Parution: 9 novembre 2018
1 édition recensée
Après Le voyageur, Koren Shadmi continue d’explorer la sciencefiction et raconte une histoire d’amour futuriste et impossible. Victor, adolescent gentil et timide, essaie désespérément d’attirer l’attention de Patricia, sans grand succès. Mais (...)

L’adolescence et ses turbulences est un sujet qu’affectionnent les auteurs du neuvième art, et nombreux sont les albums qui traitent avec justesse de cette période charnière dans la vie de chacun. C’est au tour de Koren Shadmi de nous livrer, après l’excellent Le Voyageur sa vision de l’adolescence dans un album surprenant où se mêlent récit intimiste, science-fiction et une pointe de satire sociale.

L’histoire en deux mots :
aux abords d’une ville, une usine froide et sombre, et une chaîne de montage sans âme fabrique des prothèses mécaniques pour soulager les corps meurtris. Non loin de là, Victor, un jeune homme introverti, se prépare à vivre sa rentrée scolaire qu’il espère pleine de surprises. Ce sera le cas avec la rencontre de l’irrésistible Patty, fille du directeur de l’usine de prothèses, qui va littéralement l’envoûter. Mais la jeune fille va être victime d’un terrible accident qui va la transformer en un être mi-humain mi-robotique. Malheureusement liés par cette expérience, les deux jeunes gens vont graviter l’un autour de l’autre pour tenter d’appréhender les nombreux changements de leur vie.

Le scénario :
Cet album profite d’un scénario puisant à la frontière de nombreux genres, avec en toile de fond un sujet qui peut parler à chaque lecteur, l’adolescence. Ce procédé d’identification fort est appuyé par des personnages attachants et charismatiques faisant échos aux lecteurs par certains traits de leurs caractères. Le personnage de Patty est aussi complexe qu’il est intéressant avec sa personnalité rebelle et irrévérencieuse, mais aussi fragile et déboussolée. Elle se révèle être un véritable miroir du comportement adolescent. L’auteur utilise visiblement sa transformation comme prétexte pour montrer les changements à cette période, qu’ils soient émotionnels ou physiques. Il aborde avec elle un large éventail de la psychologie adolescente montrant ses colères, ses doutes, ses incompréhensions, ses questionnements et ses relations avec l’autre, que ce soit avec sa famille ou ses amis. Chacun des thèmes est abordé avec beaucoup de justesse, montrant le travail important de l’auteur dans la création de son personnage, afin de le rendre au plus près des émotions de son lecteur. L’auteur parvient à créer un personnage à part qui cristallise l’attention, qui fascine autant qu’il interpelle.
Cependant, avec le personnage de Victor, le scénariste apporte plus de rationalité et son comportement ingénu montre à merveille le basculement de l’enfance à l’âge adulte avec les découvertes de l’alcool et du tabac, mais surtout avec une opposition à ses parents pour vivre ses propres choix. La relation entre ces deux derniers est la pierre angulaire du tome, à la fois destructrice et précieuse, elle montre l’importance et l’impact des premiers sentiments et le lien impérissable qui unit les deux personnages.
Le scénariste, bien qu’il articule son histoire sur ces deux personnages, évoque en sous-texte bon nombre de thèmes qui se montre une critique de notre société, notamment avec l’importance d’être dans les standards du milieu scolaire afin d’être accepté par tous et surtout une condamnation à peine déguisée sur l’impact écologique de l’homme sur la planète.
Bien qu’ils ne crèvent pas les planches comme Victor et Patty, les personnages secondaires sont bien construits et apportent une histoire dans l’histoire intéressante, comme la relation pleine de non-dits des parents de Victor. La narration de l’intrigue est douce et ponctuée d’ellipses apportant un repos nécessaire au lecteur dans ce tourbillon d’émotions.

Le dessin :
Le trait de Koren Shadmi est taillé pour ce genre de scénario tant il se dégage de cette dernière une douce mélancolie montrant son excellence pour le roman graphique. De plus, son dessin d’apparence froide et rigide colle également à merveille à l’ambiance futuriste du tome et montre les influences de l’auteur dans ce domaine. En effet, on perçoit, tout comme dans le voyageur parfois l’ombre de Moebius dans certaines cases.
Les personnages sont aussi bien écrits que réalisés et leur concrétisation graphique est remarquable. Malgré la froideur ostensible du graphisme de l’auteur, on perçoit immédiatement les émotions de chaque protagoniste, créant un lien fort avec ces derniers. De plus, la force du dessinateur réside dans le regard de ses personnages qu’il anime d’une manière étonnante, leurs conférant un supplément d’âme indéniable. C’est le cas notamment lorsque Victor parle de Patty à ses amis, on voit dans ses yeux ses sentiments naissant et l’admiration sans bornes qu’il a pour la jeune femme.
Ces nuances de regards qui changent à travers les cases font littéralement vivre les personnages et montrent le changement émotionnel rapide de Patty, notamment passant de la colère à la détresse montrant ainsi sa fragilité.
De plus, le dessinateur a su faire une distinction très nette avec Patty avant et après son accident. En effet, la lueur bienveillante qui peut animer parfois son regard avant ce dernier est totalement absente après, comme si ses prothèses métalliques avaient pris une partie de son âme. Koren Shadmi, avec son style unique, parvient à rendre chacun de ses personnages attachants en croquant au mieux leur essence.
Les environnements ne sont pas en reste, à la fois froids pour certains et majestueux pour d’autres. Le découpage en gaufrier très épuré laisse place au dessin somptueux de Shadmi pour offrir au lecteur des planches grandioses. De plus, ce procédé permet de mieux marquer les passages d’introspection des personnages, laissant ainsi le lecteur vivre certains bouleversements avec les personnages.
Enfin la réussite graphique du tome débute dès la couverture de l’album. En effet, cette dernière est une oeuvre à part entière aux inspirations oscillant entre la science-fiction et une pointe de surréalisme, montrant à la fois le talent de l’auteur et le lien indéfectible qui unit les deux personnages.

Avec Bionique, Koren Shadmi démontre qu’il est l’un des acteurs majeur du paysage de la bande dessinée. Il confirme son talent pour construire une histoire innovante qui saura toucher chaque lecteur, bien aidé par son trait empli de mélancolie. Une réussite sur tous les plans qui nous renvoie le temps d’un instant à nos premières amours adolescentes.

Par Vivien Arzul.
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