
Varicia Nueva et autres histoires Critique de Vivien Arzul
Le petit monde de la bande dessinée est fait de nombreux genres tentant ainsi d’aborder un maximum de sujet pouvant ainsi parler à tout type de lecteur. Pourtant, s’il y a un bien un thème qui est aux antipodes de l’approche conventionnelle du neuvième art et qui se révèle difficile à traiter, c’est bien l’absurde.
Voilà le défi que se sont lancé Mathieu Jiro, Pipocolor et Thi Kim Thu, en proposant un album hilarant à l’ambiance surréaliste. Possédant sa propre cohérence et une ambiance unique qui saura piquer la curiosité du lecteur dès les premières pages, voici an album à part édité par la talentueuse maison d’édition Super Loto.
L’histoire en deux mots :
Dans le silence de l’immensité sidérale un vaisseau de croisière affectueusement surnommé "La couille" par son équipage vogue vers sa destination à vive allure. Alors que les passagers laissent libre cours à leurs occupations comme les dominos, la farniente ou encore l’adultère, le capitaine du vaisseau en pleine partie de basket apprend que "La couille" ne répond plus et que le crash sur une planète voisine est inévitable.
La végétation dense de la planète va éviter qu’il se brise en morceaux, et une mort tragique pour une bonne partie de ses occupants.
Le scénario :
Dans ce tome, il n’y a pas une histoire mais des histoires qui s’imbriquent parfaitement malgré l’environnement absurde qui règne dans l’album. Chacune d’entre elles apporte une fraîcheur incroyable à l’ambiance de l’album en donnant les clés de compréhension nécessaire pour l’ensemble du récit. La grande force de ce tome est sans doute son humour omniprésent. Une légèreté particulière, mais très référencée, qui sait faire écho à tous types de lecteur : les allusions amusantes à la pop culture permettant de toucher un lectorat large. Tantôt absurde, avec l’apparition de personnages incongrus comme un ancien chef d’État français ou une mascotte d’un parc d’attractions, tantôt corrosif voire noir, avec ces parodie de terroristes extraterrestre se prénommant Abdul, parfois même très porté sur la chose comme en début de l’album. Le scénariste a beau jongler avec différents types d’humour, il parvient à faire mouche à chaque fois.
C’est le cas dès le début du tome en nommant le vaisseau. Ce sobriquet donne lieu à des dialogues et des situations savoureuses qui ne manquent pas de faire réagir le lecteur. De plus, chaque tournure dans les échanges entre les protagonistes colle parfaitement à l’ambiance. On retrouve cette légèreté désopilante dans tous les dialogues donnant lieu à des répliques marquantes, inscrites dans l’actualité passée ou récente, ou encore la culture populaire. On découvrira alors pele-mêle un agent stellaire paraphrasant N. Sarkozy en déclarant "l’univers tu l’aimes ou tu le quittes " ou un simulacre de Skeletor criant "Fulgurofoutre !". Ce type de références montre la minutie de l’humour du scénariste, il ne fait pas de l’absurde simplement pour en faire : chaque élément incongru est savamment mis en place pour faire naître le rire.
Le choix des personnages est aussi un des grands leviers de la réussite du tome. Certains sont aussi charismatiques que cocasses, que ce soit le commandant du vaisseau en fauteuil roulant qui pose son flow en rappant lors du message d’alerte ou encore des personnages connu à la présence dans l’espace plus que surprenante, comme un illustre intellectuel français.
Cependant, un protagoniste crève les planches ! Le Capitaine Chat devient au fil des pages l’égérie de l’album attirant toute la lumière tant ses répliques sont savoureuse. Les personnages secondaires ne sont pas en reste comme ressorts comiques importants tout au long du récit.
Ces épisodes forment un tout dans une ambiance surréaliste et tressent au fil des pages une trame cohérente qui offre des perspectives de suite multiples à ce récit unique.
Le dessin :
l’album possède deux identités graphiques fortes, dessiné de manière conventionnelle en alternance avec le photo-montage. Ce mélange des genres ne nuit en aucune manière à la cohérence graphique du tome ni à l’immersion du lecteur. Par ailleurs, il permet de voir immédiatement quel passage va être abordé dans le tome car les parties avec le Capitaine Chat notamment sont en photo-montage.
La partie dessinée est particulièrement maîtrisée, jouant sur plusieurs styles à la fois réalistes et un peu cartoon par moments, pour la réalisation de certains aliens notamment. Il faut accorder à l’auteur la grande justesse graphique dans la réalisation de ces derniers.
Chacun des personnages qui naissent sous la plume de Mathieu Jiro sont maîtrisés, qu’ils soient humains ou non, et la juste retranscription de leurs émotions montre le travail de recherche graphique entreprise.
Le découpage, majoritairement en gaufrier, permet de donner une expérience de lecture claire au lecteur
La mise en couleur très réussie est en adéquation avec l’univers détonnant de la bande dessinée. Avec ses couleurs flamboyantes, l’auteur accentue certains détails pour faire rire le lecteur. Mathieu Jiro délaisse un peu ses couleurs chamarrées pour d’autres plus sombres en fin de tome afin montrer le virage un peu plus sérieux du récit lors de l’exploration de Varicia Nueva.
L’autre auteur n’est que Pipocolor un artiste utilisant différentes techniques pour réaliser ses planches, et il indéniable de dire que ce dernier a de l’or entre les doigts. Il parvient avec beaucoup d’aisance à faire rentrer le liseur dans son univers graphique aux antipodes du neuvième art conventionnel. Ses pages regorgeant de détails sont un plaisir à découvrir, tant les références y sont nombreuses, collant parfaitement avec l’ambiance surréaliste du tome. On peut retrouver notamment des références au Futurama de Matt Groening en voyant les grands chefs D’État avec seulement leur tête dans un bocal ou encore les références à Star Wars. Chacun des détails s’imbrique parfaitement et sert le récit. De plus, fait du Capitaine Chat un personnage hors du commun, à la fois héroïque et charismatique, alors qu’il n’est qu’un chat en costume d’astronaute. L’auteur est aussi à l’origine de pages hilarantes chapitrant les épisodes qui font la part belle aux voitures de légende comme la Panda ou la Renault 21, apportant un peu de dérision à la bande dessinée. Cette association graphique est un succès et apporte une richesse incroyable à l’album. Les auteurs se complètent avec pourtant des styles diamétralement opposés et offrent ainsi une expérience de lecture unique en son genre.
Varicia Nueva est une réussite à mettre entre toutes les mains d’amateurs d’humour absurde, de curieux de la bande dessinée ou encore d’amoureux de graphismes différents. Ce tome aux airs de kamoulox dessiné surprend de prime abord pour ensuite faire naître un rire qui accompagne le lecteur jusqu’à la dernière page. Les trois auteurs signent un album aussi surprenant que réussi pour cette rentrée en proposant un ovni du neuvième art qui saura vous séduire.