
Amants déchirés (Les) Critique de Thomas Clément
Formidable épopée moderne, la Croisière jaune cherchait à abolir les frontières en reliant Beyrouth à Beijin. Cette opération conçue par André Citroën et Georges-Marie Haardt dès 1929 se concrétisera par un périple de 30 000 kilomètres à travers le continent asiatique du 4 avril 1931 au 12 février 1932 et restera comme l’une des aventures commerciales (il s’agissait de démontrer la robustesse des véhicules Citroën), politiques (l’instabilité, et parfois la méfiance des régimes en place, compliquent beaucoup les choses) et scientifiques les plus ambitieuses du vingtième siècle. Après le succès de la précédente Croisière noire en 1925, les deux commanditaires cherchent à renouveler l’opération en suivant, cette fois-ci, la route de la soie. Et si le financement ne pose pas de problème, la principale difficulté réside dans l’organisation et la coordination de l’expédition.
C’est un ancien officier de marine nommé Victor Point, fin connaisseur de la Chine, qui se voit confier la lourde tâche d’obtenir les multiples visas, autorisations et laisser-passer indispensables à la réussite du projet, tout en planifiant les différents points de ravitaillement en vivres, en carburant et en matériel. Mais, alors que tout semblait être prêt, voici que les Russes retirent leur accord, craignant que l’expédition ne soit en fait qu’une opération d’espionnage. Il faut alors tout reprendre ! Le convoi sera finalement scindé en deux groupes, le premier, conduit par André Citroën lui-même, traversera l’Everest tandis que Victor Point se chargera de parcourir le Tibet avec le second. L’entreprise s’annonce risquée, et la belle Alice Cocéa, restée en France pour mener sa carrière d’actrice, lui manque tant qu’il lui écrira presque quotidiennement tout au long de l’aventure.
S’appuyant des faits réels, le scénariste Régis Hautière a su retranscrire la belle époque du capitalisme industriel en pleine expansion qui se heurtera à la faillite du colonialisme quelques décennies plus tard. Le graphisme souple et posé d’Arnaud Poitevin, soutenu par la belle mise en couleur de Christophe Bouchard, colle parfaitement au sujet pour cet album très réussi.