Mister Nostalgia

Charley Patton, tel que le dessine Robert Crumb, a les yeux brûlés de l’homme qui regarde la mort et la vie en face. Sa voix hurle les joies et les peurs d’une Amérique rurale, écartelée entre sexe et religion, blues et gospel, Dieu et Satan. Cette musique des années 20, qu’on la nomme jazz, blues ou country, la musique des pauvres, jouée dans les fêtes et les beuglants, était trop singulière, trop libre et trop spontanée, pour survivre aux médias modernes. Entre ferveur et colère, Mister Nostalgia célèbre la beauté d’un art populaire disparu sous les coups de la technologie et des modes. Crumb a ramassé l’âme véritable de l’Amérique aux ordures, où elle avait été jetée. D’un vieux 78 t s’élève la voix des morts. Ils disent notre monde, un monde sans salut ni rédemption possibles, où la musique seule tient à distance la folie et le désespoir, et fait oublier un moment qu’un chien de l’enfer est lancé à nos trousses. Avant que nos civilisations ne sombrent dans le chaos, regardons en arrière, nous adjure Crumb, et, s’il en est encore temps, renouons le fil de notre mémoire culturelle, fil précieux, tressé de contes, de chants et de danses, qui, du passé au présent, préserve la continuité de la vie. Laudateur ou pamphlétaire, le Crumb que le lecteur découvrira dans ces pages se révèlera très éloigné des clichés auxquels on a trop souvent voulu le réduire. A ce titre, Mister Nostalgia se propose comme le volume d’introduction idéal pour qui souhaiterait aborder l’oeuvre foisonnante de ce génie de la bande dessinée.